Paris, la Butte aux Cailles et ses environs.

L’urbanisme des trente glorieuses a probablement favorisé la redécouverte de l’espace de la rue et de la poésie des lieux. En se promenant dans ce quartier de la butte aux Cailles, la nostalgie d’un mode de vie plus lent peut apparaitre, on peut aussi considérer que la proximité de l’avenue d’Italie, avec son urbanisme de tours sur la dalle du centre commercial enrichit la coexistence de deux visions non pas antagonistes mais complémentaires .

Cette balade débute boulevard Auguste Blanqui à la sortie du métro Corvisart.

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En longeant le métro qui devient aérien on aperçoit sur le coté Sud des HBM des années 30, sur le coté Nord il ne reste plus que deux maisons individuelles entre des immeubles récents. A cet emplacement se trouvait « la Folie Lepreste de Neubourg », construite en 1792 dans un style italien archaïque. Abandonnée à la Révolution cette maison devient une blanchisserie des Hôpitaux de Paris ( la Bièvre y coule au fond du jardin avant de former plus loin une ile  en contrebas de la Manufacture des Gobelins). Cette « folie » est en ruine lorsque vers 1885 Auguste Rodin y installa son atelier ou il retrouvera Camille Claudel, elle ne sera détruite qu’en 1909 et le terrain sera loti pour recevoir des maisons individuelles dont le nombre se réduit au profit de petits immeubles.

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On emprunte ensuite à gauche la rue Vergniaud qui longe le « mail de Bièvre » urbanisé dans les années 60. Face à la pointe avec la rue Wurtz et son temple antoiniste construit en 1913, on monte à gauche la rue Daviel sur le contrefort de la butte.

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Ce n’est qu’une butte de 60 mètres de haut ou étaient implantés autrefois des moulins à vents, et les Cailles étaient des meuniers qui ont laissé leur nom au quartier vers le XVIe siècle.

Au milieu du XIXe les photos d’Atget ne font état que de petites baraques de planches et de puits de carrières. Ce territoire qui appartenait à Gentilly a été annexé avec d’autres communes périphériques à Paris en 1860, puis peu à peu cet ancien faubourg s’est couvert de petites maisons très modestes.

Dans les années 1960 beaucoup d’habitations insalubres ont été démolies et les habitants relogés à Sarcelles. De nos jours la multiplicité de ces maisons individuelles réhabilitées a attiré d’autres couches de la population à la recherche de lieux calmes et cependant vivants grâce à la variété des lieux de rencontres comme les cafés et les restaurants autour de places piétonnes à échelle humaine.

Dans cette partie basse de la butte les lotissements sont plus récents et datent du début du XXe. C’est le cas de la cité Daviel où la société d’habitation familiale crée par l’abbé Viollet a réalisé la cité ouvrière de « la petite Alsace »(J Walter* Arch.1913). Le concept de cette cité-jardin de 40 maisons plonge ses racines dans le socialisme utopique anglo-saxon et dans l’action d’une partie du patronat. Le modèle fut propagé en France par Henri Sellier, après la première guerre mondiale les cités jardins se développèrent de façon concertée en périphérie des villes. Ici il s’agit d’une réalisation modeste par sa taille offrant un cadre d’habitat calme autour de la cour intérieure à la façon d’un « béguinage flamand ». L’architecture est assez caractéristique de la recherche d’une architecture « régionale » par opposition aux tendances nouvelles de l’architecture moderne du début du XXe siècle.                                                                                                                           * A cette œuvre de jeunesse réalisée à 30 ans, il faut ajouter que J Walter réalisera avec brio en 1931 du résidentiel de luxe ( immeubles boulevard Suchet à la porte de la Muette) puis de la construction hospitalière en 1935 avec l’hôpital Beaujon ( le premier hôpital-bloc réalisé en Europe sur un concept américain), enfin la cité hospitalière de Lille.

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Face à la villa Daviel, l’impasse Daviel présente un alignement de maisons individuelles sur deux niveaux en briques silico-calcaires parfois peintes avec un jardinet .

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En haut de la rue Daviel on tourne à gauche dans la rue Barrault. Au n° 22 l’accès vers « La petite Russie », ensemble de petits pavillons peints en blanc entourés d’une terrasse commune et surplombant « La petite Alsace ». Plus loin un détour dans le passage Sigaud avec ses vieux pavés dont les constructions basses viennent buter contre des réalisations récentes plus hautes.

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On redescend ensuite par la rue Alphand face à un autre projet urbain, celui des HBM construits en 1935 à l’angle de la rue Barrault et du boulevard Blanqui, ses cours intérieures ses différents redans et ses jardins permettent de composer avec la forte déclivité du site.

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Avant d’arriver au boulevard Blanqui on remonte à nouveau, cette fois dans le passage Barrault qui aboutit rue des Cinq Diamants.

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La rue des Cinq Diamants débute place de la Commune de Paris et aboutit boulevard Auguste Blanqui. Au n°46 le siège des « Amis de la Commune de Paris », organisation du mouvement ouvrier français crée en 1882. Cette implantation ne doit rien au hasard puisque le quartier de la Butte aux Cailles joua un rôle stratégique à la fin de la Commune en 1871 lorsque les pièces d’artilleries installées au sommet de la butte permirent de ralentir les troupes versaillaises entrées dans Paris, pour faciliter la fuite des communards vers la rive droite de la Seine.

La cour du n°40 est assez typique des ateliers d’artisans ou de petits industriels qu’on trouvait dans le quartier jusque dans les années 60. Ici le tissu urbain a longtemps été composite et il garde encore les traces de son état antérieur.

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Certaines devantures de restaurants ou de boutiques ont elles aussi gardé leur « jus » début du XXe .

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Plus loin sur la gauche à l’angle avec la rue Jonas le café « Chez Gladines » cœur de la convivialité dans cette partie de la rue proche du jardin Eugène Atget.

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A ce croisement de rues on se retrouve brutalement face à un long immeuble de 15 étages des années 70 d’une grande pauvreté formelle et faisant abstraction de la topographie. Il suit la courbe du boulevard Blanqui et masque désormais le panorama de la butte vers le Panthéon. Un escalier permet en passant sous cet ensemble de rejoindre le métro (station Corvisart).

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La remontée du boulevard Blanqui en direction de la Place d’Italie s’effectue jusqu’à la rue du Moulin des prés.

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Au n°1: la maison ou Auguste Blanqui mourut en 1881.

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En remontant la rue du Moulin des prés vers la place Paul Verlaine le passage du Moulin des Prés nous rappelle les différences d’échelles du tissu urbain environnant. Ici la rue Bobillot et la vision des tours de l’avenue d’Italie ( A.Ascher, M Holley, G.Brown-Sarda, D.Mikol Arch.1970-1977).

P1170361 Le « street art » est très présent tout au long de ce parcours sur les murs du quartier ( ici Ph Baudeloque ). P1170364

« Les tours ne sont plus maintenant des monuments exceptionnels, mais des objets de production courante, bientôt de série, et c’est plus particulièrement celles-ci qui vont créer le nouveau cadre urbain » Michel Holley 1971.

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La place Paul Verlaine est sur un plan carré traversé en diagonale par la rue Bobillot, sur un des cotés on découvre la piscine de la butte aux Cailles ( L Bonnier Arch, entreprise Hennebique1924). Cette implantation est directement liée au puits artésien dont le forage commencé en 1863 sous Haussmann dans le but d’augmenter le débit de la Bièvre, a été arrêté puis repris et terminé à la fin du XIXe à 600 m sous terre.                                   Compte tenu de la durée des travaux la mise en service de ce puits en 1903 n’offrait plus aucun avantage aux habitants par rapport à la distribution d’eau intervenue entre temps dans le quartier. Une solution fut développée pour utiliser les 6000 m3 quotidiens fournis par ce puits d’abord avec la création d’un bains-douches puis avec cet « établissement balnéaire » alimenté par une eau à 28° légèrement sulfureuse en phase avec les préoccupations hygiénistes de l’époque.                                                                            L Bonnier architecte-voyer de la ville s’était insurgé contre les abus d’une réglementation (déjà à cette époque…) « qui interdisait toute décoration des façades et menaçait de transformer Paris en une sorte de ville caserne », un décret de 1902 qu’il avait largement inspiré a « favorisé les tendances au pittoresque qui ont été brimées après un long régime de régularisation obligatoire ».

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Cet ouvrage fait actuellement l’objet d’une rénovation. La façade sur la place en brique est caractéristique du style Art Nouveau, à l’intérieur la décoration est sobre, carrelée de céramique blanche en phase avec la politique hygiéniste de cette époque en France qui ne comptait que 3 piscines publiques et 2 piscines privées à Paris. L’éclairage naturel est assuré par des coupoles de béton armé ajourées de dalles de verre, le motif de l’arc de cercle en façade est repris dans la structure et les voutes au dessus du bassin principal.

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La fontaine sur la place permet aux habitants de retirer une eau de qualité puisée dans les sables de l’Albien à l’abri des pollutions modernes. A proximité le buste du sergent Bobillot, figure héroïque du siège de Tuyen Quang ( Haut Tonkin) 1885.

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En longeant le square Henri Rousselle on emprunte ensuite la rue de la Butte aux Cailles , autre lieu de convivialité du quartier, avec ses restaurants se prolongeant le long des trottoirs.

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A l’angle avec la rue Samson le restaurant de la société coopérative ouvrière de production « Le temps des cerises« , en référence à la chanson de Jean-Baptiste Clément rendue célèbre par les survivants de la Commune, est situé dans un ensemble HBM des années 1930 .

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Descendons un peu dans le passage Boiton pour découvrir à l’abri de la rue et des regards d’autres maisons individuelles en cœur d’ilot.

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Un autre hommage de Ph Baudeloque à Moebius.

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En revenant dans la rue de la Butte aux Cailles on rejoint l’extrémité de la rue des Cinq Diamants sur la place de la Commune de Paris. A coté d’autres restaurants tels que « Le merle moqueur« , et « La folie en tête » dont les références sont explicites , le bistro  » le village de la butte » est un pivot de la vie de ce quartier militant.

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Sur la place de la Commune de Paris, lieu de fêtes nocturnes, on redescend ensuite vers la rue de l’Espérance. C’est dans ce secteur qu’ Haussmann envisagea en 1865 d’implanter une église monumentale au sommet de la butte.                                           Plus bas un bâtiment récent dont la typologie avec cour ouverte coté rue est assez rare  à Paris, malheureusement le foisonnement des détails est coupé du contexte  .

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A proximité: les rues Buot et Michal aboutissent contre l’abside de l’église Ste Anne de la Butte-aux-Cailles. Elles sont bordées de chaque coté par des maisons individuelles et quelques ateliers d’artistes.

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La rue Michal débouche plus loin dans la rue Barrault, au n° 42 l’école Telecom Paris Tech ( M Chappey Arch.1962), jouxte l’immeuble de la poste de la rue de Tolbiac. M Chappey s’est intéressé à toutes les disciplines des Beaux-Arts mais ici le bas relief apparait comme anachronique et « décalé » sur ce bâtiment moderne. La surélévation provisoire de ce bâtiment devrait disparaitre pour 2017 compte tenu du transfert de l’école sur le plateau de Saclay.

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Après avoir traversé la rue de Tolbiac pour prendre la rue Guyton de Morveau, deux constructions des années 1910 attirent l’attention. Au n°29 (F Gombeau Arch.) dont le traitement des deux derniers étages permet de voir un autre exemple du pittoresque réglementaire de 1902 qui a fait imploser les règlements urbains haussmanniens devenus au fil du temps générateurs de monotonie et d’uniformité.

P1170412 Plus loin un immeuble revêtu de céramiques vernissées avec une frise végétale sculptée exprime une autre vision plus proche de l’Art nouveau. P1170415

Le parcours continue en tournant à droite rue Bobillot jusqu’à la rue de la Colonie.           Au n° 72 : un immeuble HBM de 64 logements à cour ouverte (G Vaudoyer Arch.1911).  L’ensemble était à l’origine complété en rez de chaussée par différents équipements communs: bains-douches avec baignoires pour enfants, lavoir et séchoirs, local voitures d’enfants ainsi que par 40 jardins ouvriers de 50 m2 chacun, disparus dans les années 60.

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Les deux bâtiments sur rue sont reliés par le porche d’entrée avec deux ailes en retour.La simple polychromie des briques sert d’ornement à la façade.

A l’arrière  deux pavillons  viennent refermer la cour intérieure; cette dernière laisse des espaces libres et utiles pour irriguer d’air et de lumière de cet ensemble qui est un des derniers HBM philanthropiques construit à l’initiative de la fondation Singer de Polignac.

Initialement es appartements étaient destinés à recevoir des familles nombreuses, et les appartements de 2 ou 3 pièces ont de « petites chambres »pour les enfants.

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Juste avant la place de l’abbé Henocque ( ancienne place des Peupliers) un trop rare exemple de jardin vertical parisien.

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Autour de la place de l’abée Henocque on découvre dans cet ancien quartier des Peupliers différentes expérimentations urbaines: lotissements ouvriers construits entre 1908 et 1921 et HBM des années 30 qui insufflent un autre esprit « village ».                    Les trois lotissements autour de cette place résultent d’une action commune d’associations philanthropiques ou patronales mais aussi de lotisseurs privés.              Dans ce quartier longeant la Bièvre la ville a ouvert différentes rues entre 1876 et 1894  puis à la suite des premières interventions de l’État pour soutenir les sociétés d’habitation bon marché ( loi Siegfried) elle a cédé les terrains entre 1909 et 1911 pour un faible prix  à « la Fraternelle des employés des chemins de fer ». L’objectif était double: minimiser les révoltes ouvrières de cette population a tendance révolutionnaire et améliorer l’hygiène et la salubrité de ces bords de Bièvre pollués par les rejets chimiques en amont.              Cette cession s’est réalisée sous condition de revendre les futures maisons à ces mêmes employés. D’autres opérations dans ce secteur ont été plus spéculatives sur des terrains implantés au dessus de carrières.

La rue du Docteur Leray qui part de la place de l’abbé Henocque, ne comporte qu’assez peu d’aménagements individuels en façade sur rue, à l’origine chaque maison a été  équipée d’une « remise à auto ».

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Rue de l’interne Loeb, sur une place en demi-lune les bâtiments d’angle participent à la mise en scène d’une échelle « village »avec des aspects régionalistes mais sans continuité au delà de cette place. Au loin la tour Super-Italie 121 ( M Novarina Arch 1970 ).

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La rue Dieulafoy ouverte en 1912 (H Trésal Arch.1921) a été l’œuvre de spéculateurs qui la destinait à une clientèle plus bourgeoise que celle des cheminots ( 44 maisons), elle n’offre à ce jour qu’une tentative très ponctuelle de coloration des enduits . Ce modèle de maison sera reproduit dans d’autres petits lotissements jusqu’à la Porte de Gentilly.

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L’ilot Rousselle a été réalisé en 1911 par une société privée (« La petite chaumière ») sur les terrains achetés en 1909 et divisés en 30 parcelles. Seules les 8 maisons le long de la rue Henri Pape sont identiques, les autres ont été réalisées selon les individualités des propriétaires.

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Le lotissement sur une parcelle triangulaire de 32 parcelles de 120m2 délimité par les rues des Peupliers, H Pape et du Moulin des Près est le premier construit en 1908 (Lambert Arch.) pour les meilleurs employés des chemins de fer. A l’angle la maison atypique était destinée à un contremaitre. Ce projet a utilisé des planchers en béton armé, les toitures terrasses initiales ont été modifiées ultérieurement en raison de problèmes d’étanchéité par des combles plus traditionnels. Ce modèle sera repris près de la gare Paris-Lyon, entre les rues de Bercy et de Pommard, là aussi pour « la fraternelle des employés du chemin de fer ».

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La pointe de la rue Moulin des prés et rue des Peupliers face à d’autres HBM des années 1930.

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En retraversant la rue de Tolbiac vers la Butte aux Cailles le passage du Moulinet transformé en passage piétonnier rassemble lui aussi plusieurs maisons individuelles sur les contreforts de la butte, au n° 6 la maison contemporaine revendique clairement sa personnalité par sa volumétrie et les matériaux ( P Katz Arch.2007).

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Le jardin de la montgolfière dans la rue du Moulinet commémore le lieu ou a atterrit le 21 Novembre 1783 la montgolfière de Pilâtre de Rozier et du marquis d’Arlandes, entre 2 moulins de la butte.                                                                                                          Ce premier vol humain de l’Histoire réalisé entre le château de la Muette et la Butte aux Cailles sur une distance de 9km dura 25 minutes.

On remonte enfin la rue du Moulin des prés vers la place P Verlaine, un mur de soutènement atteste une nouvelle fois l’importance des travaux d’adaptations réalisés à la suite des percements des voies nouvelles fin XIXe dans ce quartier.

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